"If you think good design is expensive, you should look at the cost of bad design" — Ralf Speth, CEO, Jaguar & Land Rover
Quand on est Product Designer, il arrive qu'on soit confronté à la difficulté d'obtenir du “budget” pour faire de la recherche utilisateur ou "un peu plus de temps" pour de l’idéation. Principalement parce que les roadmaps sont serrées ou que la valeur perçue par ces activités n’a pas encore complètement été démontrée.
J’ai aussi appris, au fil des années, à ne pas être dogmatique avec le design process mais plutôt à reconnaître quelle approche adopter en fonction du projet : certains vont effectivement nécessiter de parler longuement à des utilisateurs et pour d’autres il sera plus efficace de mettre directement quelque chose en production et de mesurer l’usage. Difficile alors d’avoir une démonstration irréfutable que chaque étape du design process apportera immanquablement de la valeur sur tous les projet puisque cela va dépendre du contexte.
C’est pourquoi en guise de conseil, je recommande souvent de revenir sur les erreurs du passé. Ces projets sur lesquels une équipe a développé une feature qui n’a pas rencontré le succès espéré, pour souligner qu’en ayant accordé un peu plus de temps à la génération d’idées ou à la recherche utilisateur, ces erreurs auraient pu être évitées. Si il est difficile de mesurer “l’impact business” du bon design, on peut plus facilement parler du coût du mauvais design.
Les coûts évidents
Les ressources dépensées
Le premier coût qui vient à l’esprit lorsqu’on parle d’avoir implémenté un “mauvais design” c’est celui des ressources gaspillées. Celles du designer en premier lieu, qui aura réalisé des interfaces et accompagné leur implémentation sans qu’on se soit assurés que ce qu’on allait développer allait fonctionner ; mais aussi toutes les personnes impliquées : plusieurs développeurs, un product managers, de la QA, du product marketing, … etc.
Une partie du rôle des Product Designers, c’est de s’assurer qu’on utilise correctement les ressources techniques d’une équipe. Le designers permettent qu’à chaque fois qu’un développeur commence à écrire une ligne de code on soit confiants de l’impact d’un projet puisqu’on aura pu définir, par des cycles de prototypage, que c’était la meilleure des solutions envisageable.
Le bon design se construit souvent dans l'erreur, mais cela fonctionne si on adopte pleinement un mindset "fail fast". Saviez vous que James Dyson avait réalisé plus de 5000 prototypes pour mettre au point sa technologie d’aspiration sans sac ? On dit souvent lors de nos formations que c'est OK de se planter en imaginant une idée qui ne fonctionne pas, mais il faut s'en rendre compte en 2 jours, sur la base d'un prototype Figma, plutôt qu'en 2 mois, en entrainant dans cet échec les efforts de tous les membres de l'équipe.
L'impact sur la marque
“La confiance se gagne en gouttes et se perd en litres.” — Jean-Paul Sartre
En fonction de la gravité des erreurs commises, cela peut également impacter négativement l'image d'une entreprise auprès de ses consommateurs. En livrant une fonctionnalité “cassée” ou peu utile, un produit salué pour son efficacité ou sa simplicité d'utilisation va écorner petit à petit sa réputation, surtout si cela devient une habitude et que le développement produit se résume à empiler de nouvelles features.
Nous avons la chance d'être sur une industrie où nos erreurs sont reversibles et dans laquelle nous avons des outils pour maitriser le déploiement de nouvelles fonctionnalités auprès de nos utilisateurs. Néanmoins, l'impact négatif d'un mauvais design sur la marque est un coût, qui une fois consommé est difficile à récupérer.
Les coûts “cachés”
Derrière ces coûts "évidents", il y a des coûts indirects, ceux auxquels on ne pensent pas immédiatement et qui peuvent être importants si on répète continuellement les mêmes erreurs. Ils peuvent impacter votre business à court terme, mais aussi durablement votre équipe.
Opportunités manquées
Quand on espère augmenter son taux de conversion et qu'il reste stable après la mise en ligne de nouvelles solutions, on pourrait penser ne pas avoir perdu plus d'argent que les ressources impliquées dans la conception de ces solutions. En réalité, cela coute à l’entreprise toutes les ventes qu’aurait pu permettre la meilleure des solutions.
Ce coût d’opportunité a un aspect insidieux dans le sens où on ne pourra pas vraiment mettre le doigt dessus. On pourrait voir une légère hausse des ventes, s’en satisfaire et avoir le sentiment d’avoir réussi son projet, mais rien ne permettra de savoir si on aurait pas été capable de faire encore mieux en dédiant quelques heures à une petite session d’idéation.
Support client
Lorsque des ajouts défectueux sont implémentés dans un produit, il est possible que cela entraine l'insatisfaction de vos utilisateurs au point qu'ils veulent le faire savoir et contactent votre service client. Le temps de traitement de ces tickets et éventuellement les gestes commerciaux réalisés en dédommagement sont également à comptabiliser dans la facture finale.
C’est pour cette raison qu’avoir quelqu’un du support client dans les stakeholders de certaines équipes peut se révéler utile pour servir de “garde-fou” et ne pas faire exploser le nombre de tickets créés.
Motivation et confiance des équipes
Rien de plus frustrant que d'avoir l'impression de faire le travail 2 fois. D'autant plus si des voix se sont levées pendant la conception de la fonctionnalité pour prévenir des risques de ne pas tester ou de ne pas considérer d'autres solutions.
Des équipes qui n'ont pas l'impression d'avoir d'ownership ne restent pas bien longtemps et si on extrapole, certains projets pourraient aussi coûter le temps et l’argent nécessaire à remplacer certaines personnes (publication et mise en avant d’une annonce, temps dédié au sourcing, aux entretiens, à l’onboarding, commission d’un éventuel cabinet de recrutement, …)
Conclusion
Au final, en additionnant tout ces aspects, un mauvais design peut coûter très cher : en temps humain, en image de marque, en motivation, en ventes non-réalisées, …
Je n’ai jamais vu quiconque convaincre son CEO de faire de la recherche utilisateur ou de l’idéation parce que “c’est comme ça que le design process est fait”, en revanche on m’a toujours conseillé de “parler le même langage” que mes interlocuteurs.
Il faut qu’on arrive à convaincre collectivement que ces activités de design font partie des investissements les plus sûrs qu’une entreprise puisse faire : on donne un peu aujourd’hui pour éviter de perdre beaucoup demain.